B. LES FACTEURS IMPACTANT LE RENDEMENT
Le Ministère de l'Agriculture annonce très régulièrement des rendements dépassant 6 t/ha dans le delta et la vallée du fleuve Sénégal.
La situation est bien différente.
La salinité des sols
Tout d'abord, comme nous l'avons vu dans le post précédent, la CASL est implantée sur un bassin salée. Les nouveaux aménagements, avant la première mise en culture, présentent le plus souvent des conductivités supérieures à 20 ms/cm.
Les premières années d'exploitation, pour les parcelles présentant une conductivité > 6 mS/cm, les rendements sont impactés par la salinité des sols et de la lame d'eau.
Même avec une irrigation et un drainage continue, il est difficile d'obtenir de bons rendements.
Les quantités de sel retirés à chaque campagne par les eaux de drainage ont été évaluées à environ 18 t de sel / ha / campagne.
Ce sel est rejeté dans l'estuaire du fleuve Sénégal, via l'émissaire de drainage (ouvrage public mise en service en décembre 2015).
La station de drainage d'une capacité d'environ 27 000 m3/h permet également de rabattre la nappe phréatique.
Celle-ci, située en moyenne à 1 m de la surface est rabattue au minimum à 1,50 m afin de limiter les remontés de sel par capillarité.
Aujourd'hui, encore environ 250 ha présente une conductivité supérieure à 6 mS/cm, avec un potentiel de rendement limité à 4 t/ha. Les autres rizières sont considérées comme dessalées.
Même sur les parcelles dessalées, la conduite de l'irrigation et du drainage implique une attention permanente.
Par exemple, entre 2 campagnes, de novembre à janvier, la conductivité peut remonter significativement en l'absence d'irrigation.
Une irrigation en inter-campagne permet donc de limiter les remontées de sel et de réaliser un faux semis permettant de réduire le stock de graines, notamment de riz rouge (riz sauvage).
Les manges-mil ou Quelea Quelea
Les manges-mil sont des petits passereau, l'oiseau probablement le plus représenté au monde avec une population estimée à plus de 1,5 milliards d’individués (Wikipédia). Il vit en colonies très denses, comme les étourneaux en Europe, sur toute la bande salienne et sur la corne de l'Afrique de l'Est. Les dégâts causées sur les céréales (riz, mil, sorgho, ...) peuvent être considérables.
Concernant la riziculture dans le delta du fleuve Sénégal et dans la moyenne vallée, ces oiseaux s'installent dans les typhas (sorte de roseaux) au bord du fleuve Sénégal, en dortoirs de plusieurs dizaines d'hectares. A proximité de la CASL, le fleuve Sénégal abrite plus de 13 000 ha de typhas, impraticable en pirogue. Ces oiseaux sont ainsi protégés de la présence humaine, disposent de matériaux de construction pour les nids (typha) et d'une source d'alimentation pratiquement toute l'année (2 cultures de riz + graminées sauvage en hivernage). Il n'existe pratiquement pas de prédateurs naturels. Les rapaces qui prélèvent quelques individus par jour ne peuvent contenir la croissance des populations.
Les pertes de rendements, depuis l’existence de la CASL, sont compris entre 15 et 35 % à chaque campagne.
Ces seules pertes, expliquent à elle seule l'absence de rentabilité de cette culture.
La CASL a depuis 2014, testé de nombreuses solutions alternatives figurant dans la littérature au quelle fait référence les environnementalistes, sans résultats :
- Enregistrements de bruits de rapaces, diffusés par véhicule dans les rizières ;
- Bazooka ;
- Cerfs-volants en forme de rapace ;
- Mission au Maroc pour rencontrer l'association des fauconniers ;
- Répulsifs à base d'ail et de piment pulvérisés sur les cultures ;
- Filets japonnais ;
- Surveillance des cultures avec une cinquantaine de chasseurs, utilisant plus de cartouche que l'armée sénégalaise et nécessitant la location d'une dizaine de pickups ;
- Survole des colonies avec un avion.
Aucune de ces solutions n'empêche les oiseaux de se déplacer sur les parcelles voisines et de continuer à causer des dégâts aux cultures en suçant les grains au stade laiteux ou pâteux et en faisant tomber au sol les grains matures pour mieux les saisir.
La seule solution efficace est donc l'utilisation d'un avicide,le Fenthion, un organophosphoré toxique qui devrait être inscrit en 2021 par la Convention de Rotterdam comme produit faisant l'interdiction d'un commerce international. Il pourrait être remplacé par le Cyanophos, un produit également toxique. Ces produits doivent être appliqués au levé ou au couché du soleil, lorsque les oiseaux ont rejoints les dortoirs.
Jusqu'à la fin des années 90, la FAO soutenait les États pour la lutte anti-acridienne et la lutte aviaire contre les mange-mils. Elle a entre autre fournit 1 avion à la Mauritanie et 2 avions au Sénégal pour les épandages aériens. Depuis, ces compétences ont été transférés aux États.
Cependant, la gestion public de la lutte contre se fléau se révèle très peu efficace :
- Les 2 avions sénégalais, qui affichent chacun 15 heurs de vols au compteur, sont des épaves cloués au sol depuis 20 ans. Les pilotes sont partis à la retraite.
- L'avion mauritanien est toujours opérationnel. Les interventions réalisés par l'armée sur les dortoirs interviennent entre 18 h 45 et 19 h, alors que le couché du soleil intervient vers 19 h 45. Les oiseaux s'envolent à l'approche de l'avion et ne sont pas impacté par l'avicide.
- La Direction de la Protection des Végétaux du Sénégal, chargé de la lutte aviaire, ne dispose plus de budget lutte aviaire depuis plus de 2 ans !
La CASL est donc contrainte de financer une bonne partie de la lutte aviaire en mettant à disposition un hélicoptère à la DPV. En 2020, elle a du prendre en charge l'acquisition du Fenthion. Les charges imputables à cette lutte aviaire s'élèvent à plus de 150 000 euros par an. Elle arrive cependant parfois à se faire rembourser quelques dizaines de milliers d'euros par l’État.
Cependant, ces interventions sont rarement réalisées au bon moment, pour des raisons de disponibilité du Fenthion ou de l'hélicoptère.
Concernant la campagne de saison sèche chaude 2020, une intervention était nécessaire dès le 20 mai. Cependant, du fait de l’impossibilité de faire venir le pilote et le mécanicien d'Europe, du fait de la nécessité de réaliser la maintenance de l'appareil puis d'obtenir toutes les autorisations de l'ANACIM, les interventions n'ont pu être réalisés que le 15 juillet. L'intervention sur 4 dortoirs et l’utilisation de 150 l de Fenthion, ont permis de pratiquement réduire à zéro l'impact des manges-mils dans le delta. En comparaison, les interventions terrestre de la DPV nécessite plus de 1000 l/an de Fenthion, pour une efficacité très limitée.
Malheureusement, l'intervention tardive a généré une perte de rendement de l'ordre de 30 %.
Cette vidéo donne une vision de l'importance de populations de Queléa et des dégâts qu'ils peuvent causer :
https://www.youtube.com/watch?v=ey266dkWr2o
Cette intervention a cependant un effet positif sur la campagne d'hivernage en cours. La pression y est faible.
Les punaises du riz
Les punaises du riz causent des dégâts certaines années sur les cultures d'hivernage. Lorsque l'hivernage est pluvieux, les punaises se développement dans le delta et le diéri (étendues sableuses en bordure du delta). Après l'hivernage, lorsque la végétation herbacées sèche, les punaises migrent vers les cultures de riz, généralement en octobre, lorsque le riz est au stade laiteux. Des dizaines de millions de punaises par hectare s'abattent sur les rizières pour sucer les grains.
En hivernage 2016, cet insecte avait causé des dégâts sur les cultures.
Au cours de la campagne d'hivernage, les punaises se sont abattues sur les cultures par vols successifs durant toute le mois d'octobre. Les dégâts ont été considérables. Les producteurs qui n'ont pas appliqués un insecticide n'ont pratiquement rien récoltés (0,4 à 2 t/ha). La CASL qui n'a réalisé qu'un seul traitement insecticide sur 1 600 ha, par manque de disponibilité de l'avion, a un rendement de 3,5 t/ha. Les producteurs qui ont réalisés 2 ou 3 traitements espèrent récoltés 4 à 5 t/ha (récolte en cours).
Lorsque le riz était encore cultivé en Guyane, 2 traitements insecticides étaient nécessaires contre cet insecte.
Il existe peut-être des solutions alternatives, comme les pièges à phéromone.
Cependant, nous verrons dans un des prochains posts, que le manque de compétitivité de la filière et le manque de moyens et d'implications des centres de recherches agronomiques sur ces sujets, condamne la filière à court terme.